Carl Davila (PhD en études arabes, Université de Yale, 2006) est professeur associé d’histoire à The College at Brockport, SUNY. Ses recherches portent sur divers aspects de l’histoire textuelle de la tradition andalouse marocaine nūba ; elles ont donné lieu à la publication de deux livres et de plusieurs articles sur le sujet. Très récemment, il s’est penché sur les traditions manuscrites à l’origine des anthologies musicales andalouses, Kunnāsh al-Ḥāʾik, Majmūʿ al-Jāmiʿī et al-Rawḍat al-ghannāʾ, en les considérant comme des objets sociaux à la fois matériels et sociaux.
Résumé: De nombreux manuscrits musicaux : Art, artisanat et matérialité dans le Maroc du début de l’ère moderne
Une étude approfondie des anthologies de manuscrits de chansons en relation avec les traditions musicales andalouses du Maroc révèle quelques traits distinctifs qui, pris ensemble, suggèrent une sous-culture vivante reliant cette tradition musicale au prestige, à l’érudition et à d’autres valeurs sociales du Maroc de la fin du Moyen Âge et du début de l’ère moderne, en particulier à Fès. Parmi les caractéristiques communes à d’autres genres, on peut citer les méthodologies de base de l’écriture manuscrite (notation et encadrement de la zone de texte, etc.), l’utilisation de papiers de relativement bonne qualité, l’écriture maghribī mujawhar finement exécutée ainsi que les annotations et corrections occasionnelles ajoutées en tant que marginalia (parfois dans l’écriture originale, parfois non). Les caractéristiques qui distinguent nombre de ces manuscrits des autres genres comprennent l’utilisation élaborée d’encres de couleur, y compris la dorure, ainsi que l’utilisation occasionnelle de titres décoratifs maghribī thuluth, souvent en plusieurs couleurs. Les papiers de ces manuscrits sont particulièrement intéressants, car ils nous permettent de retracer la transition du papier vergé ancien ou antique au papier vélin moderne, parallèlement aux développements technologiques européens, mais avec un retard de quelques décennies. Même jusque dans les années 1930, alors que l’imprimerie avait submergé la production commerciale de livres, les amateurs de musique disposaient encore de copies manuscrites de haute qualité de ces anthologies, ce qui démontre l’aspect socialement prestigieux de la possession et de l’exposition de ces documents dans le contexte de la culture arabo-marocaine.